
Participation à l’exposition l’Art Actuel France-Japon
21 novembre 2018
Participation au 51ème Salon d’Ile de France à Bourg-la-Reine
20 janvier 2019Découverte d’un joyau sur le net : les peintures de l’artiste Britannique Euan Uglow
Lorsque je ne peins pas, je regarde le travail d’autres artistes qui peignent, dessinent ou gravent. Oui, je sais, je suis complètement obsessionnelle. Cela peut être des artistes morts depuis longtemps ou des contemporains. Je vois leur travail à des expositions ou dans des livres mais j’avoue que je découvre aussi beaucoup d’artistes sur le web. Ces derniers temps, je lis beaucoup d’articles ou regarde des vidéos sur des artistes britanniques ou américains. Pourquoi ce tropisme ? Les anglo-saxons croient encore à la peinture et sont beaucoup plus ouverts sur l’art figuratif de façon générale. Chez la plupart, je retrouve une maîtrise d’un savoir-faire et une créativité dans la représentation figurative. Je n’ai rien contre la peinture abstraite mais j’ai besoin de voir de la peinture figurative pour me nourrir car j’ai choisi ce mode d’expression.
Je bute en ce moment sur plusieurs problèmes :
-comment rester figuratif tout en quittant un certain réalisme et aller vers une forme plus abstraite ?
-Comment trouver le juste équilibre entre la forme et le sujet représenté ? Là encore, sans développer la polémique, le sujet est pour moi central, ce ne peut pas être pour moi qu’un prétexte plastique.
-Comment utiliser la géométrie dans la peinture ? Mon intérêt pour la géométrie vient sans doute de mon côté un peu matheux mais pas seulement. Dans la mesure où l’on compose dans un rectangle, on ne peut pas faire abstraction des lignes de force qui vont structurer ce rectangle. La peinture de Piero della Francesca est un exemple parlant de l’utilisation de la géométrie dans la composition.
Pendant ces fêtes de Noël, je cherchais donc sur le net « peinture, figure et géométrie » et je suis tombée en arrêt sur les peintures de Euan Uglow (1932-2000), un artiste britannique. Cela mériterait bien sûr de voir son travail de visu mais les reproductions donnent déjà un aperçu de son travail.



Ce qui est frappant, c’est l’extrême simplicité de la lecture : c’est souvent signe d’une grande peinture. On a l’impression de voir la quintessence du sujet représenté par une grande économie de moyens. L’amour de la géométrie est clairement exprimé mais avec beaucoup de sensibilité. Les plans sont peints avec une extrême précision et justesse tout en rendant la forme vivante ( rien à voir avec toutes ces peintures qu’on voit peintes avec le filtre isohélie de Photoshop). Les couleurs sont « cristallines », je ne saurais pas le dire autrement. Tous les tons ne sont pas purs mais leur vibration peut s’apparenter à la clarté du cristal. Les sujets choisis sont simples mais il en fait quelque chose de monumental et conceptuel (je veux dire par là, une pensée exprimée dans un langage visuel).
En voyant les peintures d’Euan Uglow, j’ai eu un choc et j’y ai vu une réponse possible à mes problèmes du moment.
Sincèrement, je n’avais pas pensé à ce type de forme, j’ai cherché auparavant à ouvrir la forme et à déconstruire pour peindre avec une facture moins réaliste.
Ann Gale et Alex Kanevsky sont deux peintres américains représentatifs de ce que j’appelle « une déconstruction ». Ils ont en commun de travailler d’après modèle vivant et par couches successives. La forme est bien présente mais tend à disparaître. Le travail d’Ann Gale pourrait s’apparenter à celui de Giacometti mais en couleur. A chaque couche de peinture, elle note méthodiquement des fragments de la forme et de l’espace qui entoure son sujet. Dans le travail d’Alex Kanevsky, l’accent est mis sur l’espace, la facture est plus gestuelle et il se dégage beaucoup de force.


Je ne sais pas pourquoi, toutes mes tentatives dans cette direction m’ont paru artificielles.
Méthode de travail d’ Euan Uglow et d’Edwin Dickinson (« color-spot painting »)
Euan Uglow a été l’étudiant de William Coldstream (1908-1987), qui faisait partie du groupe « Euston Road School ». William Coldstream développa une méthode de dessin, où les points de repère étaient consciencieusement notés par des marques verticales ou horizontales. Ces marques sont d’ailleurs visibles sur les peintures de Coldstream et Uglow. Uglow installait ses natures mortes et ses modèles sur des supports qu’il marquait également. Chaque emplacement était noté scrupuleusement au sol ou sur le mur. Ce qu’on devine en regardant sa peinture, c’est qu’il modelait son sujet par plans et chaque plan était dessiné précisément puis peint en aplat.
Je ne sais pas si Coldstream a connu Charles Hawthorne (1872-1930) peintre américain (Illinois) mais on retrouve des similitudes de travail. J’ai découvert le travail de Charles Hawthorne et d’Edwin Dickinson (1891 New York -1978 Massachussetts) par le peintre Francis Cunningham (né en 1931 à New-York) , ancien étudiant de Dickinson, qui explique d’une façon approfondie ce qu’est la méthode dite « color-spot painting » (sur son site http://www.franciscunningham.com/).
L’idée est de modeler le volume par la couleur et non par le dessin : “Painting is just getting one spot of color in relation to another spot…. Let color make form, do not make form and Color it.” dit Hawthorne. Sur un support blanc, on monte progressivement le tableau par plans colorés successifs.
Pour comprendre, j’ai fait une étude de citron à la manière d’Uglow en utilisant cette méthode

Zoomons sur la partie encadrée.

La forme du citron est esquissée brièvement. Après avoir placé le 1er plan, appliqué de façon opaque,

on applique de façon juxtaposée le second en se demandant s’il est plus froid/chaud, plus saturé/désaturé, plus clair/sombre.

Chaque plan est rigoureusement observé et noté en peinture sur la toile. On obtient ainsi une mosaïque de couleurs qui se construit progressivement.

Qu’est-ce qui était révolutionnaire pour l’époque ? C’est d’appliquer au tout début du tableau des détails et de commencer sur une surface blanche puisque chaque plan porte en lui les informations de teinte, saturation, valeur de la couleur et chaque plan est mis en regard avec tous les autres. Cela permet d’obtenir des nuances de couleur beaucoup plus précises et d’avoir des surfaces modelées d’une grande continuité. En quelque sorte, cela exacerbe le côté « plat » en deux dimensions de la peinture. Dans certaines peintures inachevées de Cézanne, on peut voir un processus analogue mais par touches moins définies.

Primauté du dessin dans la construction traditionnelle d’un tableau
On commence par mettre une imprimature (teinte unie neutre), éventuellement une grisaille (peintures en valeurs, en noir et blanc), puis on couvre toute la surface par masses colorées. Cela permet d’avoir une vue d’ensemble de la structure du tableau. Plus on avance, plus on va affiner chaque masse. L’avantage est que l’on contrôle toujours l’ensemble par étapes mais les couleurs soumises au dessin, seront observées de manière moins précise car l’œil est perturbé par les couleurs déjà présentes sur la toile.
Pour copier cette nature morte de Van Beyeren, j’ai posé une grisaille inversée ( (on pose les lumières et pas les ombres) uniquement avec de la peinture blanche puis les couleurs sur cette grisaille.


Dans cette magnifique esquisse de Rubens de « La descente de croix », on peut voir la grisaille et la couleur posée dessus.

Résonance avec l’histoire
Les questions picturales que je me pose n’ont rien de nouveau. Ce sont des questions qui ont traversé l’histoire de l’art. Au XVII ème siècle, les partisans de la prééminence de la couleur s’opposaient à ceux qui défendaient la primauté du dessin, les premiers préféraient le travail des peintres vénitiens (Véronèse, Le Tintoret, Titien…), les seconds les peintres florentins (Raphaël, Léonard de Vinci..).
On a pu voir aussi une succession de périodes où l’esthétique soit classique soit baroque dominait. Je ne sais pas si c’est la définition admise par les historiens, mais les mots « classique » et « baroque » sont pour moi des repères, comme des pôles caractéristiques, je ne parle pas de courants liés à une époque précise (cf Apollon et Dyonysos dans La Naissance de la tragédie de Nietzsche).
Je mettrai par exemple dans l’esthétique classique, une épure de la forme, une idéalisation du sujet et dans l’esthétique baroque, une forme plus ouverte, déstructurée, par fragments et des sujets souvent plus dramatiques.
Par exemple, je classerai Euan Uglow comme un artiste à dominante classique, Ann Gale et Alexandre Kanevsky avec une dominante baroque. De mon côté, je suis classique dans la forme mais le choix des sujets, souvent réalistes, et les atmosphères parfois plombantes de mes tableaux font que je ne rentre pas complètement dans cette catégorie.
En guise de conclusion
A travers cet article, j’ai voulu vous faire découvrir d’autres artistes dont j’admire le travail et vous faire sentir que la peinture est une question de choix. Quelquefois les décisions que l’on prend sont incompatibles mais on le découvre a posteriori. Par exemple, j’ai travaillé longtemps en matière, en épaisseur mais je voulais aussi beaucoup de luminosité dans mes couleurs. Il m’a fallu du temps pour comprendre que la lumière a besoin d’une surface lisse pour s’y réfléchir et qu’il fallait donc trancher. J’ai fini par privilégier la lumière.
A travers ces questions qui peuvent paraître purement techniques, j’y vois toujours quelque chose de plus profond : ordre ou chaos ? Ombre ou lumière ? Couleur et lumière ou couleur ou lumière ? Idéal ou réel ?
Ces choix se font naturellement dans le travail, par l’expérience, ils ne peuvent pas se faire a priori. Je veux dire par là que l’on ne peut pas décider à l’avance ce que l’on va devenir.